Chapitre 1
Telle serait donc la fin. Tel serait l’épilogue d’un amour insensé, soldé par un adieu, quand un roi devait bien avoir dans ses pouvoirs celui de nous marier, de surcroît sur-le-champ. Mais qu’on ne se méprenne pas : c’est un cas de rupture. Une cassure après d’autres, une pincée de douleur.
Nous avions délibérément franchi le seuil de la propriété : aucune erreur d’orientation ne conduit à l’enceinte d’un palais. Profonde allée déserte, bordée de platanes aux troncs de baobabs dont pas une guerre n’avait eu raison. C’était encore Kaboul. Cela n’y ressemblait plus. À la tombée du jour, les oiseaux s’égaillaient et je songeais à la perruche verte, bec rouge acéré, qui depuis quelques heures avait placé son entière confiance dans mon bout de jardin pour y promener ses déhanchements de bête idiote ne sachant pas voler. Déjà je m’égarai. Je rentrai au palais. La main de Nathan serrait la mienne : ce serait son dernier geste, sa dernière preuve d’amour. Je ne pensais qu’à cela. Où était le palais ?
Marquée par un haut portique de pierres sombres, l’entrée avait quelque chose de trop large au regard des ruelles afghanes, un air de Novgorod et un gris de Paris. Où était le palais ? Une dizaine d’enragés, kalachnikov au cou et diverses pétoires ficelées à la cuisse, persistaient à chausser des lunettes noires sous la pluie. Derrière les fronts étroits de cette milice en béret, restait-il de la place pour un soupçon de pensée quand la mienne se trouvait réduite à la contemplation d’un film qui se jouait sans moi ? Bientôt nous fûmes garés dans la cour du palais. Plus de doute possible. Mais pourquoi donc, au fait ? Nathan me regardait, mais j’étais incapable de lui rendre ne fût-ce qu’un sourire. Mon coeur était glacé d’une peur sans tremblement. Étrange indifférence à l’égard d’une merveille, pas le moindre embryon de fausse timidité. Nous allions voir le roi, voilà, je m’en souvenais. (...)