Dur dur d’être une star

Éditions Thierry Magnier, 2014, à partir de 10 ans – Où trouver ce livre ? Partout, et en librairie c’est mieux !

Mathis , 10 ans, rêve de devenir une star de la chanson, fantasme la vie rêvée de Justin Bieber, est amoureux de Joy Cooker… Simone Toupet, sa voisine, fantasque grand-mère de substitution, le soutient dans son entreprise contre vents et marées. Autant dire que tout peut arriver !

 

Extrait : La mygale
C’est grâce à la piqûre d’araignée que je me suis retrouvé chez Simone Toupet. Et c’est grâce à Simone Toupet que tout est arrivé : le pire, comme le meilleur. Imaginez un peu ! J’ai failli devenir le nouveau Justin Bieber ! Tout a commencé au printemps, le jour de la sortie en forêt. Le maître, monsieur Crépon, nous avait distribué des photocopies où étaient représentées des feuilles d’arbres. Votre mission : partir à la recherche des spécimens… Avant de nous laisser nous disperser dans la pénombre du sous-bois, Crépon avait mis les points sur les « i » : « VOUS NE SORTEZ SOUS AUCUN PRÉTEXTE DE MON CHAMP DE VISION ! ». Crépon, les sorties en forêt, ça lui donne des palpitations. Il exige donc à chaque fois qu’on s’habille en couleurs vives. Très vives. Si vives que, lorsque le bus nous débarque, la forêt se met à ressembler à une réserve de M&m’s en liberté. Ce jour-là, Joy portait son duffle-coat fraise tagada, moi ma doudoune moutarde. Crépon mijotait dans son K-way framboise écrasée. Sûr : on ne pouvait pas le louper !
– MATHIS MARTIN, TU AS FINI D’EXPLORER LE CONDUIT AUDITIF DE TA VOISINE ? Crépon, je suis son punching-ball. La classe entière peut faire la foire, c’est sur moi que ça retombe. Vivement le collège l’année prochaine : adieu Crépon ! À moi la liberté ! Changer de salle à chaque heure ! Changer de prof à chaque heure ! Et surtout… faire la bise à Joy !
– Mais m’sieur ! ai-je essayé de me défendre. Sauf qu’avec Crépon, on ne peut jamais discuter. Comme toujours, mon binôme, c’était Joy (on est dans la même classe depuis la maternelle) ; et comme toujours, je chantais. À tue-tête ou bien doucement. En français ou en yaourt. Des chansons ringardes apprises à l’école avec monsieur Schnouk, ou des tubes entendus dans des boums ou à la radio, et d’autres chansons encore qui sont sur les vieux CD de maman et qui me reviennent quand je regarde le ciel, les nuages ou encore les petits ressorts des cheveux de Joy, ses yeux caramel et l’adorable duvet beige sur sa peau chocolat. Il paraît que ma mère chantait tout le temps quand elle était enceinte de moi ! Alors, peut-être que je chantais déjà in utero ? Qui sait ! Ma mère a arrêté de chanter depuis longtemps, mais pas moi. Mon rêve, c’est de devenir une star de la chanson. Arrêter l’école. Enregistrer des disques, faire des concerts, des tournées, changer de nom, avoir plein de fans, signer des autographes… La grande vie quoi ! Le problème, c’est que je ne sais pas comment m’y prendre. Justin Bieber, on dirait que tout lui est tombé du ciel. Quand je pense qu’il n’a jamais pris un seul cours de chant ! Ce garçon, ce n’est pas sous une bonne étoile qu’il est né, mais sous la constellation de la baraka. Et puis, sa mère était de son côté : elle l’a aidé à poster plein de vidéos sur YouTube, et c’est comme ça qu’il a été repéré. Comme ça que son agent l’a contacté : « Allo Justin, c’est Scooter. Je vais faire de toi une super star ! ». Et hop, direct, le succès ! Si ma mère était encore vivante, est-ce qu’elle m’aiderait à poster des vidéos de moi en train de chanter sur YouTube ? En tout cas, mon père ne veut rien entendre : il prétend que les enfants qui deviennent des stars ont leur vie fichue en l’air. D’abord, je ne suis plus un enfant : j’ai dix ans et dans quelques mois je serai au collège. Ensuite, personnellement, ça ne me déplairait pas du tout d’avoir ma vie fichue en l’air comme Justin Bieber ! Avec Joy, on formerait un power couple comme Justin et Selena – c’est sa copine, ils avaient rompu mais ils se sont remis ensemble… ah non, ils viennent de rompre de nouveau… bon. Toujours est-il que, l’année dernière, j’ai écrit à Justin Bieber (enfin, à l’adresse de son fan club) pour lui demander un coup de pouce vu que ma mère est morte à ma naissance et que mon père refuse de m’aider. Ça fait dix mois, deux semaines et quatre jours et demi que j’ai posté ma lettre.
– Tu peux me tenir ça, s’t’p ? Joy a tenu mon sac pendant que je retirais ma doudoune et mon pull. Mon T-shirt à l’effigie de Justin Bieber (le bleu) a suivi le mouvement jusqu’à découvrir mon nombril. Joy semblait très gênée lorsque j’ai refait surface une fois dégagé de l’encolure.
– Qu’est–ce que tu regardes ?
– Rien rien. Euh… ton T-Shirt ! C’est à ce moment-là que j’ai senti… un contact… extrêmement désagréable. C’était velu. C’était rapide. Joy me regardait comme si un requin s’apprêtait à refermer sa gueule sur moi. Et elle me pointait du doigt :
– Une énorme a… ! Une énorme a… ! Une énorme a… ! Mais elle était incapable de terminer sa phrase. Moi, si. Une énorme ARAIGNÉE ! J’avais beau gigoter dans tous les sens, impossible de m’en débarrasser. La bestiole prenait mon dos pour une piste de patinage artistique. Plus probablement, elle avait du mal à trouver la sortie de mon T-shirt. C’est alors que j’ai senti un élancement dans le gras de ma fesse droite. J’ai hurlé. Joy aussi. Crépon a déboulé comme une fusée en faisant frotti frotta à cause de son k-way.
– Que se passe-t-il ? Il était violet d’essoufflement – très bien assorti à sa tenue. Comme j’étais débraillé derrière un gros arbre, il a cru que Joy et moi faisions des trucs louches. Pendant qu’on subissait le savon du siècle, l’araignée la plus grosse du monde devait déjà avoir traversé la forêt, me laissant à moitié exsangue, la fesse en feu. Je parie que c’était une mygale.