recto verso

Recto verso

Éditions Thierry Magnier, 2012, dialogue texte / photos – Où trouver ce livre ? Partout, et en librairie c’est mieux ! 

Lui, Tarik, immigré sans papiers, planqué dans un container abandonné sur un port. Elle, Rose, givrée, perdue avec sa révolte au poing. Récit de Tarik, récit de Rose, deux jeunes adultes qui n’auraient pas dû se rencontrer. Pourtant, leur détresse va les unir…

 

Extrait : Dans le fond, tout ce à quoi je voudrais que ma vie ressemble désormais, c’est à cette photo complètement clichée. Je l’avais trouvée dans une poubelle le lendemain de mon arrivée. Ce jour-là, tout ce qui ne me voulait pas de mal, tout ce qui me tombait dans les mains et qui n’était ni sale, ni puant, ni tranchant, m’apparaissait comme un talisman. Je n’avais aucune idée de l’endroit où l’on venait de me débarquer, pas même du pays – les passeurs ça raconte tout et n’importe quoi. Un magasine dépassait d’une benne à ordures, ouvert à la page d’une pub pour je ne sais quoi – une marque de jeans ou de yaourt à boire, allez savoir ! Moi, je cherchais s’il ne resterait pas là-dedans un petit quelque chose à me mettre sous la dent. Les gens, sans être forcément riches, disons les gens qui n’ont jamais eu faim à en avoir le crâne sonore comme un hall de gare, ça balance de ces trucs ! Ca respecte à la lettre les dates de péremption qui n’existent que pour les faire consommer encore et encore, toujours plus, ça se conforme à la moindre inscription, ça suit mollement le grand mouvement des démocraties installées, sans une seconde de réflexion. Ca enfourne à ses gosses les dates de quelques Révolutions – les leurs de préférence, et puis les noms d’un ou deux rois décapités, et ça se descend un demi litre de crème glacée le soir devant des séries américaines une fois les marmots couchés. Le temps venu des élections, ça hésite et puis ça se demande après tout pourquoi pas revenir aux valeurs. Ca baisse les yeux sur le pot d’Häagen-Dazs acheté la veille… périmé d’une semaine ! Ca brandit son stylo pour écrire à « 60 millions de consommateurs », sans se rendre compte que le titre du journal est en soi une insulte. Et ça balance le demi litre de crème glacée du côté des déchets non recyclable. Ceci étant, la vie n’est pas si mal faite : c’est grâce à des types comme ça que des types comme moi parviennent à tenir une semaine, un mois, une année, deux, trois, cinq, dix ans, et parfois une vie entière dans les villes d’Occident. (…)